Ce court roman est merveilleux. Il a des points communs, mais quelques-uns seulement, avec les Lettres à un jeune poète de Rilke. Les deux cultivent la solitude, acceptée comme un devoir sacré ou comme une

malédiction, la difficulté d’être comme les gens normaux qui vivent à plein leur vie, et la méfiance à l’égard de la fausse littérature (chez Mann la scène ironique où l’officier lit ses vers pleins de sentiments dans une assemblée de gens bien, les avertissements de Rilke sur « ce que l’on nomme littérature »). Mann et Rilke sont nés la même année (1875). La nouvelle de Mann et les lettres à F.X. Kappus ont été écrites à peu près en même temps ; ils avaient tous les deux autour de vingt-huit ans. On est toujours étonné quand on se rappelle que les
Lettres à un jeune poète ont été écrites par… un jeune poète. Kröger ne garde pas son enfance en lui, il pousse vite, voyage, devient adulte, fuit l’excentricité, cherche la chaleur humaine, et la réconciliation avec la société. C’est peut-être un peu l’histoire de la prose vs la poésie. Mais il reste soucieux comme Rilke de se connaître, sans jamais perdre le sentiment d’être exclu. Mann consacrera ensuite son œuvre à explorer à fond « la noblesse maladive de la littérature ». En contraste aussi leur attitude face à la grande guerre, souhaitée dans l’exaltation par Rilke comme par beaucoup d’autres qui voulaient en découdre avec l’empire, décrite en deux traits de plume dans toute sa barbarie dans les dernières pages de
La montagne magique, où au « coup de tonnerre » qui retentit dans toute l’Europe quand l’Allemagne déclare la guerre à la Russie un mois après l’attentat de Sarajevo (la journée même où Kafka écrivait dans son journal : « Après-midi piscine »), Hans Castorp sort en courant du sanatorium où il séjournait depuis sept ans et se précipite au front où il va se faire dévorer tout rond.
Merci de me faire découvrir ce livre, dont j’ignorais l’existence. C’est toujours un plaisir de vous lire.
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je suis content que vous nous parliez de ce court roman que j’ai lu il y a si longtemps, dont je n’ai gardé aucun souvenir sinon que je l’avais aimé; dans les faits , lors de mes jeunes années, j’ai beaucoup lu Mann, la Montagne magique, Mort à Venise, son gros livre sur un musicien ( Adrian L…) qui rappelait Nietzche mais tout s’est effacé de ma mémoire; j’ai également beaucoup aimé Le Tournant de l’un de ses fils, Klaus. C’est toujours un plaisir de vous lire.
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J’avais entrepris la lecture de ce texte afin de découvrir Thomas Mann, n’ayant encore rien lu de cet auteur allemand réputé. Bien m’en a pris de suivre les conseils de Patrick Schindler, auteur de Klaus Mann ou le vain Icare et de commencer par ce Tonio Kröger à la fois œuvre de fiction, transposant les débuts de l’auteur lui-même. On suivit ensuite bien des lectures inoubliables de cette famille Mann au talent inépuisable… Merci pour ce rappel agréable !
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Je n’ai encore rien lu de Thomas Mann, j’ai donc, encore une fois, tout un univers littéraire à explorer. Et ce « Kröger ne garde pas son enfance en lui, il pousse vite, voyage, devient adulte, fuit l’excentricité, cherche la chaleur humaine, et la réconciliation avec la société. » m’y incite. Merci Jacques!
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