Calepin

Pierre Foglia

À propos des six chroniques de Pierre Foglia que la Presse reproduit en guise d’adieu à sa version papier. Ce que les prétendants au trône n’ont pas crève les yeux : cette façon de bondir dans une direction inattendue, cette souplesse de félin. Ramener son originalité à une affaire de style, c’est encore le vanter, puisque son style comme le style en général n’est pas simplement un agencement de mots et de phrases, il est inséparable de la tournure singulière de son esprit, de sa vision personnelle de beaucoup de choses. Il n’est pas le seul à penser librement, mais il a cette façon unique de laisser respirer cette liberté, grâce entre autres à une maîtrise sans faille du français. Sans elle, comme beaucoup d’autres chroniqueurs, il aurait été pris dans une camisole de force, nous faisant tout deviner dès les premières lignes, puis suivant un petit chemin bien balisé.

Une grande partie du plaisir qu’on a à le lire vient de sa présence à chaque ligne, du contact direct entre lui et son lecteur, ce qui est impossible quand on écrit avec des clichés et des idées toutes faites. Les autres, incapables d’ironie, sans distance, n’ont pas cette audace ou les moyens de cette audace ;  ils vous exposent la vérité comme dans le bon vieux temps. L’expression laisser un vide ne s’est jamais aussi bien appliquée qu’à lui. Pour moi, il est un écrivain : une personne qui parle, pas un représentant de quoi que ce soit.

On ne l’imagine pas au Devoir, le devoir de rectitude lui aurait été totalement rébarbatif. En même temps, à la Presse il était le bouffon du roi. Je pense que les grands patrons ont neutralisé son influence en multipliant jusqu’à la nausée au fil des années le nombre de chroniqueurs dans les autres pages – tellement qu’en lisant la Presse on sait ce qu’ils pensent tous, mais on ne sait plus trop ce qui se passe, l’information est devenue secondaire (le cas du Journal de Montréal, congrégation de prédicateurs, est encore pire ; la prépondérance de l’opinion sur les faits dans les journaux québécois est un phénomène surréaliste qui mériterait une étude ; chaque journaliste maintenant est comme un apprenti qui attend d’être consacré compagnon chroniqueur).

Est-ce qu’il a raté ou réussi sa sortie, avec les articles controversés de la fin ? Sans doute réussi, puisqu’à la fois il a tenu tête et pris son trou. Les défauts ne manquent pas bien sûr : éloge pompeux de livres médiocres, positions douteuses, sacralisation du sport, acharnement sur des cibles faciles ; et cette voix fluette en entrevue.

J’ai eu trois ou quatre jasettes sympathiques avec lui par courriel. La seule fois où il y a eu le silence à l’autre bout, c’est quand je lui ai demandé pourquoi les Desmarais avec leurs milliards n’avaient pas créé un journal du calibre du New York Times, du Monde, du Globe and Mail. Ils devaient avoir leurs raisons, qu’il convenait de taire.

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