C’est un trait curieux de la nouvelle que de ne pouvoir se lire qu’à raison de quelques-unes à la fois, alors qu’on peut enfiler romans et poèmes jour après jour, sans se lasser. Avec les nouvelles, on a vite l’impression que les histoires tournent à vide. Pas dans certains cas exceptionnels comme Tchekhov, sans doute parce que la moindre de ses histoires est toujours riche, mais même chez de grands nouvellistes comme Hemingway ou Maupassant, et presque toujours dans les petits recueils où tous les textes se ressemblent, pire encore quand ils sont reliés par un thème, où l’effort est trop visible. Un ami me dit qu’il s’est émerveillé d’abord puis lassé en lisant le Décameron. On peut y voir le signe qu’il s’agit de mets fins qu’il ne faut pas dévorer à la grande cuiller, comme on le fait avec un roman. Il y a quelque chose de plus facile dans le roman que dans la nouvelle, ou en tout cas qui l’est devenu avec le temps, depuis une centaine d’années disons. Faulkner faisait remarquer que jeune, quand on veut écrire, on commence instinctivement par écrire des poèmes. Puis on se rend compte à quel point la poésie est difficile. Alors on passe à la nouvelle, c’est plus simple, on va raconter des histoires. Surprise, après un certain temps on découvre que la nouvelle est aussi difficile, elle est comme un poème en prose, il ne faut pas qu’un cheveu dépasse, rappelez-vous la remarque de Tchekhov sur le fusil accroché au mur. Alors on passe au roman, où on peut changer de sujet quatre fois par page, faire une grosse salade avec touski et continuer ainsi pendant des pages et des pages, au gré de l’inspiration. Voilà sans doute pourquoi il y a des romans partout, dans les pharmacies, les gares routières, les boites à livres, les grands magasins. D’ailleurs le roman demande aux lecteurs du temps plus que de l’effort. Les deux genres, nouvelle et roman, sont peut-être fatigués. Encore qu’on invente des histoires depuis la nuit des temps et qu’on n’arrêtera jamais. Il est impossible, absurde d’imaginer une humanité qui n’inventerait plus d’histoires, peu importe la forme, quoique certains en aient rêvé. Et, pendant ce temps-là, la poésie trône au-dessus de tout le reste.
J’ai commencé hier une recueil de nouvelles, Scènes de vie villageoise, Amos Oz, parce que tu as choisi de partager un de ses titres, j’ai regardé dans ma bibliothèque et j’ai sorti celui-là. Lu les deux premières, un sentiment d’étrange, une chute comme un affaissement, les deux fois. Je vais le reprendre un peu plus tard.
Une petite anecdote pour dire que j’ai lu ton texte avec intérêt et plaisir, comme chaque fois, tellement c’est bien écrit et avec intelligence.
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Merci infiniment Jean-Marc. Je connais ce bouquin de Oz (ou d’Oz ?), et oui moi aussi j’ai dû faire des pauses en cours de route, alors qu’en principe on devrait pouvoir passer à travers en un après-midi. Content de t’offrir un remue-méninges !
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« Et, pendant ce temps-là, la poésie trône au-dessus de tout le reste. » Comment prendre cette remarque ? En souriant ou en pleurant ? Chose certaine, ici et chez Major ce qu’on dit de Tchekhov m’incite à le lire. Quant à André Major, je le dois aux « Quartiers littéraires ». Merci. Bonne année 2021 !
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