Notes de lecture

Flaubert et Louise Colet

Dans sa Correspondance, Flaubert n’y va pas avec le dos de la cuiller quand il révise les poèmes que Louise Colet soumet à son œil critique. Aucune délicatesse. Et pourtant son jugement n’est pas toujours évident, c’est à l’emporte-pièce parfois, d’ailleurs elle semble ignorer la plupart des corrections qu’il lui propose.

C’est qu’il lui parle comme si elle ne savait pas écrire ou écrivait les pires choses du monde. Il est obsédé par les répétitions. Il cherche à filer logiquement ses métaphores (la sueur doit s’écouler, dit-il, et non s’amasser). Puis soudain il admire un vers. Mais on devine qu’il n’aime pas l’ensemble. Au bout du compte, on voit bien que c’est une poésie convenue, bien qu’habile. S’il tient à être honnête, pourquoi ne juge-t-il pas l’ensemble ?

Attitude différente avec Louis Bouilhet, son meilleur ami, à qui est dédié Madame Bovary et qui lui soumet ses poèmes, fort discutables, avec des vers qui souvent se terminent par un affreux point d’exclamation. Flaubert propose de sérieuses corrections, mais ne tarit pas d’éloges.

En fait, il en avait assez de Louise Colet, qu’il ne voulait même pas voir approcher de sa maison. Il lui a écrit des lettres d’amour, lui vantant ses attraits, sa poitrine, ses yeux, ses cheveux, mais de façon presque descriptive. Les quelques paroles amoureuses qu’il lui susurre ne sont guère convaincantes. Il lui dit que s’il la perdait il deviendrait « peut-être fou » : peut-être. Il se dépeint à elle comment un monstre, étalant avec complaisance son désabusement. Et cette affreuse déclaration : « Puisque tu m’aimes, je t’aime toujours. » Il ne l’a jamais aimée, elle était une amie avec qui discuter, à qui il pouvait faire des discours sur l’art d’écrire – utiles aussi pour lui-même et aujourd’hui pour tout le monde – et avec qui il pouvait coucher à l’occasion, bien que rarement. Tandis qu’il avait une affection profonde et durable pour Bouilhet. Comme quoi.

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Sacré Flaubert. Quand elle a fini La paysanne, qui est un bon poème, il conseille à Louise Colet de ne plus employer le décasyllabe, mauvais vers. Quelques jours plus tôt, il lui disait qu’il était en train de se ressourcer en lisant la Courtisane amoureuse de La Fontaine, écrit… en décasyllabes. Et Baudelaire : … Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères / Des divans profonds comme des tombeaux…

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Poème de Louis Bouilhet
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À Louise Colet

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Notes diverses sur la Correspondance de Faubert. Sa joie d’écrire la scène des Comices dans Madame Bobary. Il fait l’éloge de Candide après avoir relégué à un rang inférieur Voltaire quelques jours plus tôt. Il fait l’éloge sans réserve de Boileau (« le style c’est la vie ! »), qu’il relit au complet ; mais plus tard il le trouvera raide. En littérature : l’ordre oui – mais la Règle est signe de médiocrité. La souffrance nécessaire ? horreur paralysante de la douleur physique. Il faut les faits, les détails. Les poètes sont trop longs, les prosateurs trop communs. Il faut montrer l’âme partout. L’illusion d’abord, l’émotion est secondaire, faire rêver, voilà le but. Les grands livres sont épicés, en relief, pas sentimentaux, il faut, dit-il, que l’œuvre sente la sueur. Il parle de la vanité des déplacements (un peu comme Proust). Par-dessus tout : « l’harmonie du fond et de la forme ».

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